Article écrit avec Cécile Dehesdin, camarade de promo et future camarade de stage au Monde.fr
À l’école Montessori, pas d’enseignants mais des guides.
Une vingtaine d’enfants de 3 à 6 ans se balade dans la salle de classe de l’école Montessori du XVIe arrondissement de Paris. Tous transportent leurs « travaux », de petits plateaux où sont disposées des activités diverses qu’ils sont libres de choisir, depuis les étagères aux petites tables éparpillées.
Des activités de vie pratique, des travaux d’écriture ou de mathématiques : ici, tout passe par les cinq sens, et plus particulièrement le toucher. Lors de l’apprentissage de la lecture ou de l’écriture, les enfants se servent d’un “alphabet mobile”. Ils manipulent les lettres pour former des mots qu’ils connaissent, sans être bloqué par la difficulté motrice de les écrire.
« Le but de Montessori c’est que l’enfant évolue à son rythme », et non pas à celui qu’on pourrait attendre de lui vu son âge, explique Laurent Lévy, directeur de l’école. Ainsi pendant la même matinée, Maxime passera de « travail” en « travail », alors que Thibault restera presque une heure sur un travail de vie pratique: presser son propre jus d’orange.
« Mais dans un quartier argenté, [comme le 16ème, les parents ont] certaines attentes, notamment en lecture et écriture ». À son arrivée à la tête de l’école, Laurent Lévy avoue s’être laissé influencer, en répondant plus au rythme des parents qu’à celui de leurs enfants. Une position de compromis qu’il a finalement abandonnée : “Un parent qui n’est pas être d’accord avec notre pédagogie n’a qu’à quitter l’école ».
Aider l’enfant à grandir
Comme il l’explique, la notion d’“aider à grandir » est au coeur de l’éducation Montessori. Ici, les adultes ne sont pas des « enseignants » mais des « éducateurs », des « guides ». Alors que l’enseignant est « quelqu’un qui montre quelque chose », l’éducateur-guide « essaie de fabriquer une ambiance dans laquelle l’enfant va s’épanouir, dans l’idée de rendre l’enfant autonome, indépendant. »
D’où l’organisation de la salle de classe, où tout est à hauteur d’enfant : les « travaux », les ciseaux, etc. La pédagogie, inventée par Maria Montessori au début du XXe siècle, repose sur une observation individualisée de l’enfant. L’éducateur peut alors le guider vers l’activité qui correspond à son développement personnel. Sans jamais le forcer. « Il arrive que pour la fête des pères et des mères, certains enfants ne ramènent rien du tout » raconte Laurent, dans un sourire.
Si certaines écoles Montessori scolarisent les enfants jusqu’au collège, voire au lycée, celle de Laurent s’arrête à 6 ans, juste avant l’entrée en primaire dans une école « classique ».
Cette forme d’éducation reste très méconnue en France. Malgré la multiplication des écoles estampillées Montessori, la plupart des enfants qui s’assoient sur leurs bancs sont des anglo-saxons, adeptes du modèle dans leur pays d’origine.
C’est après la naissance de sa deuxième fille, aveugle d’un oeil, que Laurent Lévy s’est tourné vers les méthodes d’éducation alternatives. Le jeune papa entame alors un cursus en psychothérapie, et écrit un mémoire sur le système Montessori. Convaincu, il décide d’« appliqu[er] à la maison la philosophie Montessori dans la façon d’aider à grandir [s]es enfants ».
“Montessori, ça reste un cocon”
Madame Lormand a mis ses cinq enfants dans l’école dirigée par Laurent. De 6000 à 8000 euros par an pour un enfant, c’est un investissement financier de taille auquel elle préfère ne pas penser, mais qu’elle ne regrette pas une seconde. « Montessori offre une enfance merveilleuse, des souvenirs super ». Joie de vivre, respect des autres, amour du travail bien fait, cette musicienne ne mâche pas ses mots lorsqu’elle évoque les bienfaits de cette forme d’éducation. « Ils sont éveillés, très éveillés, curieux de tout », s’emballe-t-elle.
Même enthousiasme chez Patrick Bellaïch, dont deux des cinq enfants ont intégré une école Montessori. Cet éditeur de livres médicaux estime que les anciens élèves de Montessori sont « des gens très brillants et un peu farfelus, qui ne s’arrêtent jamais de bouger, de réfléchir». Pour preuve, la réussite de certains de ses auteurs, qui ont été scolarisés dans des écoles de ce type. Pourtant, d’après lui, Montessori reste une méthode d’éducation “alternative”. Un second choix réservé aux enfants « atypiques, qui ne rentrent pas dans le moule », comme sa fille de sept ans, en grande difficulté dans le milieu scolaire traditionnel. « Avec ma fille j’étais convoquée [chez la directrice] quasiment toutes les semaines pour des questions de comportement » raconte Frédérique Bellaïch. « La maîtresse disait qu’elle était trop éveillée, bête, débile… En fait elle s’ennuyait dans les classes traditionnelles ».
Si ces parents sont aujourd’hui très satisfaits de ce système, qui a “fait aimer l’école” à leur fille, ils ne sont pas pour autant de véritables convertis. Le couple ne se prononce d’ailleurs pas sur l’école dans laquelle il choisira de scolariser ses deux derniers enfants. « Nous allons attendre, le milieu traditionnel est très bien, ça dépend de la maîtresse sur laquelle vous tombez » explique Frédérique Bellaïch. Avant d’ajouter : « Je n’ai jamais fait Montessori, mon mari non plus, et je ne pense pas qu’on s’en soit mal sorti ».
En raison de son prix élevé, le système Montessori est encore largement réservé aux classes moyennes supérieures. “Un cocon” selon Frédérique Bellaïch. Pourtant, Laurent Lévy en est persuadé, la pédagogie se propage au-delà des seules écoles reconnues Montessori : « Beaucoup d’enseignants en maternelle s’en inspirent». Mais de là à adopter la méthode au sein de l’Education Nationale, l’écart est grand. Aujourd’hui, seules deux écoles agréées Montessori sont sous contrat avec l’Education Nationale. La généralisation du travail “râper du fromage” ou “casser des noix” en école maternelle n’est donc pas pour demain.
Ils ont fait Montessori…
George Clooney
Actif et sans relâche, George Clooney n’a pas arrêté d’enchaîner les « travaux » depuis son enfance dans une école Montessori. De quoi lui donner la bougeotte et l’envie d’être aussi réalisateur, producteur et scénariste, sans oublier son engagement humanitaire et ses prises de position politiques. What else?
Sergey Brin et Larry Page
« C’est en allant dans une école Montessori que nous avons appris à être autonomes et à devenir nos propres déclencheurs » ont déclaré les fondateurs de Google.com lors d’une interview sur ABC en 2004. Montessori nous a permis « d’apprendre à penser par nous-même, et nous a donné la liberté de poursuivre nos centres d’intérêts ». Au sein même de Google, Page et Brin s’inspirent de la philosophie Montessori, affirmant : « C’est ce qui nous permet de continuer à innover ».
Will Wright
“Montessori m’a appris la joie de la découverte”. Le concepteur des jeux vidéos SimCity et Les Sims n’en doute pas une seule seconde : sa curiosité et sa créativité sont le fruit de son éducation Montessori. “SimCity est sorti tout droit de Montessori” explique-t-il ainsi sans détour. Et le lien entre ce jeu vidéo et le système Montessori est vite désigné : la liberté d’action. Dans SimCity comme à l’école, personne pour vous dire quoi faire. C’est au joueur et à lui seul de construire sa propre cité.
Friedensreich Hundertwasser
Peintre, architecte et trublion de l’urbanisme écologique, Friedensreich Hundertwasser est un digne héritier de Montessori. Dans ses toiles comme dans ses constructions, un seul mot d’ordre : le refus de la conformité. Il déclare par exemple que la ligne droite, chère à l’architecture classique, est son ennemie, et réalise ses projets architecturaux dans un style fantaisiste débarrassé de toute règle.