Des locaux préfabriqués dans un décor en ruines : bienvenue dans le Diplôme Universitaire du Dr Allier, seule formation validante d’homéopathie en France. Ils sont une petite quarantaine à se réunir un week-end par mois à Bobigny, dans les amphithéâtres B1 et B2 de la Faculté de médecine de Paris 13. Tous les étudiants, ou presque, sont médecins. Généralistes pour la plupart. S’ils sont là, c’est parce qu’ils sont convaincus de l’efficacité de l’homéopathie, cette « arme thérapeutique » complémentaire de l’allopathie. Une conviction typiquement française. C’est après tout en France qu’Hahnemann, père allemand de cette méthode controversée, a choisi de finir sa carrière et de répandre sa doctrine. Et c’est en France, au cimetière du Père-Lachaise, que repose sa dépouille.
Les petites granules à bas prix ont la cote dans l’Hexagone, premier marché mondial de l’homéopathie. Et le statut qui va avec. Inscrits à la pharmacopée depuis 1992, la plupart des remèdes homéopathiques ont leur place dans le Vidal, Bible des médecins et pharmaciens. Et l’exercice médical de l’homéopathie est reconnu depuis 1997 par le Conseil de l’Ordre des médecins. Du coup, se faire prescrire et rembourser des remèdes homéopathiques est une pratique des plus courantes.
Depuis 1984 et la publication par Georgina Dufoix, alors ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, d’un arrêté autorisant le remboursement des préparations homéopathiques, celles-ci sont prises en charge par la Sécurité sociale. Au même titre que tout médicament traditionnel. Et pourtant, les préparations homéopathiques ne sont pas des remèdes tout à fait comme les autres. Si le Code de la santé publique définit comme médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives, alors pas de doute, juridiquement, les préparations homéopathiques en sont bien. Mais c’est d’un point de vue scientifique que les choses se compliquent. En cause : les principes de fabrication de l’homéopathie. Cette médecine repose en effet sur quatre principes que sont la similitude, les hautes dilutions, la dynamisation et la personnalisation. Des principes qui, selon François Chast, chef du service de pharmacie, pharmacologie, et toxicologie de l’hôpital parisien l’Hôtel-Dieu, n’ont « aucun support scientifique ».
Chargé en 2004 par l’Académie de Pharmacie de mener une réflexion sur l’efficacité de l’homéopathie, François Chast se qualifie aujourd’hui d’« homéopathologue », néologisme doucement ironique dans la bouche d’un homme qui ne croit pas en l’efficacité de cette médecine dite alternative. Et surtout pas en sa scientificité. « Si les essais cliniques réalisés par des homéopathes sont nombreux, ils sont entachés de biais méthodologiques qui compromettent la lisibilité et la validité de leurs résultats », estime-t-il. Car comme il l’explique très clairement, ces praticiens réfutent la méthodologie des essais conventionnels pour l’étude de leurs médicaments. Elle serait contraire, selon eux, à la philosophie de l’homéopathie, fondée sur la personnalisation.
Pour un homéopathe, soigner n’est pas considérer le seul symptôme, mais l’individu dans son ensemble, pour reconnaître son « terrain ». Autrement dit, son tempérament homéopathique. En dépendra son traitement, individualisé. « Les critères utilisés pour définir les terrains sont quasi hippocratiques : les homéopathes parlent de malades bilieux, colérique, etc. C’est une façon pour le moins ésotérique, et peu cartésienne, de pratiquer la médecine » raconte François Chast. Mais pour le docteur Allier, l’approche homéopathique est conceptuelle, et correspond bien à la définition de la santé donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « un équilibre physique, social et mental, et non pas seulement le silence des symptômes. » Une approche qu’élèves et professeurs confondus pensent complémentaire de celle de la médecine traditionnelle. Et qui semble justifier le statut à part de l’homéopathie, hors du droit commun qui régit toute l’industrie pharmaceutique.
La réglementation française impose que l’efficacité d’un médicament soit prouvée par des essais cliniques en double-aveugle pour obtenir une Autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé). Pour un médicament anti-diabétique par exemple, un tel essai consisterait à sélectionner 1000 personnes diabétiques, et à comparer l’effet du médicament testé entre les 500 personnes l’ayant pris, et les 500 autres ayant pris son placebo. Mais pour les homéopathes, un tel exercice est impossible puisque la notion de terrain empêche de traiter deux patients de la même façon. Si donc des études sont publiées dans des revues d’homéopathie, avec parfois des résultats positifs, la manière dont elles sont réalisées ne donne pas de preuves de leur reproductibilité. À l’issue de son étude sur la valeur thérapeutique de l’homéopathie, François Chast est catégorique: « Le bon millier de publications réalisées ces dix dernières années dans des revues à comité de lecture continuent, inlassablement, de déboucher sur des résultats inconstants, parfois significatifs mais sans jamais être reproductibles par un autre chercheur ».
Comment alors expliquer que les médicaments homéopathiques reçoivent une AMM ? Deux mots : l’exception juridique. En effet, le code de la santé publique stipule que le dossier d’AMM pour un produit homéopathique est adapté « compte tenu de la spécificité du médicament homéopathique et d’un usage lié à la tradition ». C’est ainsi que le demandeur est dispensé de produire des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques pour son remède homéopathique.
Et une fois l’AMM obtenue, l’exception continue, jusque dans la décision de remboursement de ces produits, qui se fait de manière automatique. « Sans autre forme de procès », souligne Claire Lejeunne, vice-présidente de la Commission interministérielle de transparence, groupe dépendant de la Haute Autorité de Santé, et qui a pour mission d’évaluer le service médical rendu (SMR) des médicaments. De cette évaluation dépend leur niveau de remboursement par la Sécurité sociale. Originellement remboursée à hauteur de 65% (ce qui correspond à un SMR important), l’homéopathie est passée à un taux de remboursement de 35% en 2003 (ce qui correspond à un SMR modéré ou faible), à l’initiative de Jean-François Mattei, alors ministre de la Santé. Le résultat d’une réévaluation des produits homéopathiques ? Certainement pas. Comme le confirme Claire Lejeunne, jamais l’homéopathie n’a été évaluée par la Commission de Transparence. Une dérogation jugée anormale par la Commission, qui a déjà voté deux fois à l’unanimité en faveur du déremboursement de l’homéopathie. « C’est bien simple. Si on nous demandait de nous pencher sur le cas de l’homéopathie, on déterminerait un service médical rendu insuffisant » affirme Claire Lejeunne. D’où une question posée de manière incisive par l’Académie nationale de médecine en 2004 : faut-il continuer à rembourser les préparations homéopathiques en France ? Sans suite de la part des autorités gouvernementales.
Dans un environnement européen où les uns, majoritaires, ne remboursent pas ce type de préparations, et où la tendance est au déremboursement pour les autres, la spécificité française ne semble pas perturber les pouvoirs publics. Dans le domaine de l’homéopathie, les ministres de la Santé se succèdent et se ressemblent. En 2004, Philippe Douste-Blazy reste sourd à l’appel au déremboursement lancé par l’Académie nationale de médecine. Renvoyant la tâche de juger de son bien-fondé à la Haute Autorité de Santé, mise en place au 1er janvier 2005. Autorité qui ne sera finalement jamais saisie de cette mission. Et deux ans plus tard, Xavier Bertrand déclare : « Tant que je serai Ministre, on ne touchera pas à l’homéopathie ».
Pourtant, les nécessités d’économie dans le domaine de la santé avaient poussé les pouvoirs publics à lancer la révision de près de 200 médicaments remboursés malgré un SMR insuffisant entre 1997 et 2001. Une campagne qui a notamment mené au déremboursement définitif des vénotoniques, médicaments pour soulager les jambes lourdes, au 1er janvier 2008. Mais l’homéopathie a échappé à ce mouvement. Démontrant que dans le système de santé français, il existe « deux poids deux mesures », selon les mots de Claire Lejeunne.
Mais pour Claude Le Pen, économiste de la santé à l’université Paris Dauphine, la raison à cela est simple : « L’enjeu n’en vaut pas la chandelle ». En effet, le remboursement des produits homéopathiques, de l’ordre de 150 millions d’euros par an, ne représente qu’un pour cent du remboursement des médicaments par la Sécurité Sociale. « Peanuts », selon l’expression triviale de l’économiste. « Une petite goutte d’eau dans le déficit de l’Assurance Maladie » comme le disait Philippe Douste-Blazy en 2004. C’est sûr, l’homéopathie ne coûte pas cher. Et à côté de ça, la France reste l’un des rares pays où l’homéopathie est une tradition, avec un laboratoire -Boiron – qui est le leader mondial dans le domaine. « Je comprends les ministres. Pourquoi aller soulever des problèmes alors que l’économie réalisée par la Sécurité Sociale serait très faible ? », s’interroge l’économiste. Pour lui, si cette situation peut être jugée scandaleuse d’un point de vue légal, elle est très justifiée d’un point de vue politique. En dépend l’intérêt d’une firme qui emploie quelque 2700 individus en France.
Mais aussi le maintien d’une certaine paix sociale. Force est de constater que les réseaux d’associations de médecins homéopathes et de patients qui se soignent à l’homéopathie sont très puissants en France. En 2004, suite à la publication du rapport de l’Académie de Médecine appelant au déremboursement des produits homéopathiques, une pétition de soutien à l’homéopathie circule dans toute la France et recueille quelque 680 000 signatures. Et l’association Homéopathes Sans Frontières, qui entend apporter dans des pays en voie de développement les soins homéopathiques, « 5 à 20 fois moins cher que les médicaments classiques », est soutenue par des grands noms de la scène française comme Isabelle Adjani, Isabelle Huppert, Renaud ou encore Alain Souchon, son parrain officiel.
Pourtant, l’homéopathie pourrait bien être actuellement dans l’antichambre du déremboursement. Le projet de franchise de 0,50 euro par médicament annoncé en juillet 2007 par le ministère de la Santé, pourrait en effet précipiter un déremboursement des granules. D’ailleurs les laboratoires Boiron s’en inquiètent. Car la franchise, du fait du faible coût des produits homéopathiques, pourrait faire passer leur taux de remboursement de l’actuel 35% à un faible 8%. Une manière progressive et discrète de faire rentrer dans le droit une médecine hors-la-loi ? Peut-être, mais quoi qu’il en soit, d’après Claude Le Pen, cela ne changera rien à la popularité des remèdes homéopathiques en France. « Consommer de l’homéopathie est avant tout un acte militant, le remboursement n’a rien à voir là-dedans ».